Rencontre à la librairie Pardo Paradis le 27 avril 2023

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« Barbara », lu, relu, dit, redit, comme une incantation, une voix issue de mes propres profondeurs, une voix qui m’enveloppe comme le brouillard enveloppe Brest, une voix qui m’entraîne dans une guerre que je ne connais pas, mais qui laisse pourtant tant de traces en moi.

Quelle connerie la guerre, quelle connerie… connerie… J’adorais transgresser le langage en répétant comme un mantra ce gros mot. Et mes parents, pour qui la guerre si douloureuse était un sujet pourtant presque tabou, riaient de bon cœur à ma rengaine « Quelle connerie la guerre, quelle connerie la guerre, quelle connerie… »

Voici donc qu’à huit ans, la guerre m’est devenue, par la force de Prévert, une réalité que je pouvais appréhender, une réalité qui me nouait la gorge comme si j’y étais confronté pour de vrai, qui me tordait les boyaux comme si la peur m’envahissait pour de vrai, qui bouleversait ma vie comme si … tu souriais et je souriais de même.

Je me suis réellement abrité sous un porche, j’ai réellement crié son nom, Barbara, une fois, dix fois, mille fois. J’ai été réellement amoureux de Barbara. Et c’est avec Prévert que j’ai été trempé par cette pluie de deuil terrible et désolée, par cet orage de fer, d’acier, de sang.

Depuis lors, je m’ébroue, comme un chien qui disparaît au fil de l’eau sur Brest, je m’ébroue pour sécher la pluie, et je m’ébroue pour sécher des larmes, des larmes qui n’ont jamais pu couler, et qui ont pourtant laissé un sillon sur mes joues.

Bien plus tard, c’est dans « Paroles » que je suis allé piocher les histoires que je lisais à mes fils pour les endormir. C’est ainsi que Prévert est devenu un membre de ma famille abîmée par la guerre. Un membre bienfaiteur.