Le café était bruyant et animé ; il sentait l’alcool, le café fraîchement moulu et la fumée de cigarette ; partout, le regard satisfait d’Espagnols et de Français qui buvaient, mangeaient et soufflaient des ronds de fumée. Un sentiment d’amitié nous enveloppait, comme une immense étreinte que j’associais au ventre impressionnant de Molinos. Deux atmosphères différentes semblaient régner simultanément. La première était celle des voix des hommes, qui faisait un bruit parfois dissonant, comme un chœur désordonné. Ici une pause soudaine, ailleurs une explosion de rire inattendue, qui s’éteignait à son tour, fondue dans le chaos anonyme de l’ensemble. La seconde, c’était la cascade de cliquetis stridents des petites assiettes qui passaient de l’évier de droite à celui de gauche, comme pour ajouter de l’énergie à l’ambiance. Quand les assiettes resurgissaient sur le comptoir, remplies de sardines grillées, d’olives vertes et noires craquelées, de salade de pomme de terre (appelée « salade russe »), et de cigalas (crevettes) cuites à la vapeur, les voix retombaient. Mais ce nouveau silence était bref. La réapparition des tapas sur le comptoir en marbre jaunâtre provoquait un « aaaaah » de satisfaction chez ces hommes dont les doigts impatients perdaient tout sens de l’étiquette quand ils arrachaient les dernières coquilles et les queues roses.