Ce qui est attendrissant dans ce récit, et c’est sans doute son point fort, c’est la simplicité du quotidien qui se joue devant le lecteur. On pleure, mais on sourit aussi.

Sandrine Szwarc Radio Shalom

La guerre durait tandis que nous grandissions dans la maison de nos grands-parents, que ma mère, inlassablement, se rendait à la fabrique sans jamais une fois se plaindre de l’effort qu’elle faisait. Levée avant l’aube, elle était déjà prête à sept heures ; en hiver, il faisait encore nuit dehors et seuls les murs, les rues, les visages étaient blancs de froid. De temps à autre, un réverbère allumé trouait l’obscurité de sa flamme vacillante. Parfois, dans mon lit, je m’éveillais pour humer l’odeur de chicorée que Nonna venait de lui préparer, celle des œufs brouillés qu’elle mélangeait au kaïmak, le fromage, celle des tranches de pain de maïs qu’elle tiédissait en les laissant un instant dans le four. J’entendais les deux femmes bavarder un peu, avec cette paresse du matin qui rendait leur conversation plus lente. Tous les bruits étaient feutrés. Toujours, il était question des hommes qui étaient au front, de la dureté de l’hiver, de la difficulté d’avoir de leurs nouvelles. Et je me faisais encore plus petit dans mon lit. De toutes mes forces, j’essayais de penser à mon père, de lui communiquer un peu de cette chaleur bienfaisante, de ce sentiment de protection que j’éprouvais à être ainsi sous la couverture un peu lourde, faite de morceaux d’étoffes assemblés. Je savais que dans un instant ma mère viendrait m’embrasser. Elle ouvrait doucement la porte pour ne pas nous réveiller, je faisais semblant de dormir ; elle se penchait vers moi, alors j’ouvrais les yeux, je la regardais et je pouffais de rire. Elle posait un baiser sur ma joue, caressait mes cheveux, me recommandait :
– Dors, encore, c’est très tôt ! Et sois sage aujourd’hui.